Je m’intéresse à cette façon de faire car je crois en être adepte depuis longtemps. Avant même que le phénomène ne soit nommé.
À 24 ans, j’ai pédalé ma vie jusqu’au Texas. En vélo qui pesait lourd. A peine 50 km par jour parce que j’arrêtais souvent. Pour parler aux uns, demander l’avis aux autres. Même pour me bercer un p’tite heure avec une personne âgée sur son balcon dans une route secondaire de la Georgie. Je crois même que c’était une route en terre. Disons une route très secondaire. Suis aussi embarquée avec mon vélo sur le bateau d’un pêcheur de crabes qui m’a amenée jusqu’à l’île de Tangier.
Pas personne qui me prendrait dans son club de cyclistes aujourd’hui. Partie en septembre, arrivée en décembre. Quand même 5000 km. Ai poussé la bécane les six kilomètres de la montée du Blue Ridge Parkway en chialant. Mais j’ai assisté à la traversée de route d’une tortue. J’ai rencontré en Virginie des cueilleurs de feuilles de tabac et ceux des tomates qui m’en ont données. Bien aimé découvrir les plantes carnivores en bordure de chemin et les opossums qui se promènent la nuit.
Ce fut un excellent voyage avant même que le cyclotourisme ne devienne la mode.
Je vais donc vous entretenir de cette nouvelle tendance qu’est le slow travel. Elle est sur plusieurs lèvres ces temps-ci, et je pense la connaître. Tsé une lente naturelle :). Je sais pourtant que le “fast track” existe aussi, et qu’il fait plaisir à plusieurs.
Et pourquoi pas ? Je le dis et répète: les Milesopédiens sont une bande hétérogène.
Les écrits nous informent que le “slow travel” s’inspire du mouvement “slow food” amorcé en Italie il y a une trentaine d’années par un critique gastronomique. Le personnage, Carlo Petrini outré par l’arrivée d’un McDo sur la piazza di Spagna au centre de Rome a voulu assurer la pérennité de la gastronomie locale face à cette culture de restauration rapide qui s’implantait. Le mouvement s’est par la suite répandu à l’international.
L’objectif principal du mouvement “slow food” est louable: il vise la réduction de l’écart entre les habitudes des gens fortunés en matière alimentaire (bons produits authentiques) et celles des petits consommateurs (aliments de moindre qualité mais peu chers). C’est Wikipedia qui le dit.
Ce à quoi la restauration rapide répond en partie, on en convient.
Le phénomène du “slow travel” qui a emboîté le pas s’oppose quant à lui à l’urgence de consommer à une vitesse grand V, les visites de lieux reconnus où s’agglutinent des milliers de touristes, souvent au détriment de ceux qui y vivent.
A titre d’exemple, le petit village idyllique de 770 habitants de Hallstat en Autriche reçoit plus de 10,000 visiteurs par JOUR depuis qu’il a été proclamé en Asie “la ville la plus ‘instagrammable du monde”.
A cela s’est ajoutée la légende qu’il aurait aussi servi d’inspiration à la ville imaginaire d’Arendelle dans le dessin animé de la Reine des Neiges de Disney. Il n’en fallait pas plus pour que les locaux soient envahis.
Et les exemples pullulent. Venise, ça vous dit quelque chose? et l’ascension à la queue leu leu de l’Everest ?
Le slow travel s’éloigne donc du tourisme de masse au profit de rencontres et expériences plus locales et intimistes, souvent hors des sentiers battus.
Il favoriserait par le fait même la découverte du quotidien des locaux et laisserait une grande place à l’inspiration du moment. Oubliez les itinéraires serrés. De plus, il impliquerait des moyens de transport les moins polluants possibles.
Mais on s’entend qu’il faut d’abord se rendre à la destination choisie. Bien oui, souvent en avion.
Le terme “slow travel” est de plus en plus utilisé et s’inscrit aux côtés de pratiques émergentes que sont les gestes visant la diminution de l’empreinte carbone, les états de pleine conscience et l’expérience voyage. Le slow travel serait accessible à toutes les bourses et âges et prendrait place pendant de courtes escapades comme de longs séjours. Il parait même qu’il pourrait se vivre quelques heures dans son propre patelin, lors de découvertes de nouveaux lieux. En ville, à la campagne, même en banlieue.
Ah me voici enfin, Boucherville en rabaska !
Ca me rassure un peu. Les premiers articles que j’ai lus sur le sujet avaient été écrits par des “nomads digitals” qui avaient étudié en tourisme ou hôtellerie. Jeunes, sans enfant, je me demandais bien comment le reste de la plèbe qui travaille avec des conditions plus traditionnelles pourrait se permettre la chose.
Partir plusieurs mois à Bali, se balancer quotidiennement dans un hamac, en discutant avec le pêcheur de langoustes et en sirotant son jus dans une noix de coco qu’on a cueilli soi-même, qui n’en rêve pas ?
Mais j’ai compris qu’avec le slow travel, tout pouvait devenir une expérience.
Est ce à dire que si je vais prendre un café dans un nouveau bistro, que je placote avec le voisin de table, je suis dans l’expérience du slow travel ?
Bien peut-être disons-le, à petite échelle. Je me rappelle en fait avoir vécu une belle petite histoire de rien du tout dans un café du quartier Villeray que je visitais pour la première fois. Celle d’une fille qui échappe le café qu’elle vient de commander au comptoir et d’un barista qui lui en fait immédiatement un autre en mettant la main sur son coeur pour lui signifier qu’il le lui offre. C’était chez Vito. Coin Casgrain et Villeray. Toute petite expérience humaine qui m’a réchauffée l’âme. Qui sait, avec peut-être Vito lui-même.
Mais puisque nous sommes de grands collectionneurs de points et milles et que nous souhaitons sortir de notre carré de sable, pouvons-nous et avons-nous envie de mettre en pratique cette approche ? Avons-nous besoin de ralentir le tempo ? Serions-nous déçus de ne pas être allés au Vatican en passant à Rome et d’avoir, pour ce faire, attendu en file ? Sur les Ramblas de Barcelone ? OMG chez Walt Disney ? Et si nous décidions d’habiter à 30 km de Rome, dans un bled inconnu et que nous passions GO sur la ville aux sept collines. Est ce que ça se peut ça? Est ce qu’on veut ça?
J’ai des amis qui prennent par loisir des cours sur l’histoire de la Russie. Ont décidé d’aller voir sur place. Avec un petit groupe et le professeur. Pensez-vous qu’ils vont se contenter de nourrir les pigeons sur la Place Rouge en observant les soviétiques rendre au travail ? Bien non. Ils ont tout un programme. Le Kremlin, la Cathédrale St-Basile, le Mausolée de Lénine, le Parc Gorki, le Musée de Saint Pétersbourg et j’en passe.
Pas pour tout le monde le slow travel.
Les échanges de maisons et le gardiennage d’animaux permettent ce type de voyage. Un Airbnb et un p’tit coup Sonder aussi, à plus court terme. Des locations dans les savanes, pourquoi pas. On s’installe et on gravite autour. A pied, à vélo, en voiture, en tuk-tuk, en canot. Dans ce contexte, pourquoi pas le Kremlin.
J’ai particulièrement aimé cueillir les agrumes dans ma cour californienne. A 20 km de Los Angeles; Palos Verdes. Observer les italiens se rassembler sur la place publique en fin de journée: Orbetello en Toscane, petit coin peu connu des touristes mais fréquentés des italiens en vacances. Profiter du “fish and chips” au pub du village anglais où cette fois-ci je prenais soin de plantes et de deux minous. Avec des enfants qui couraient partout. Parce que les pubs, ça se fréquente en famille là-bas. Saviez-vous ça, vous ? A 30 minutes en train de Londres; Bishop Stratford.
Facile à promouvoir le slow travel pour une fille qui comme moi a préféré la chapelle Sainte-Croix de Corte en Corse où un chat, bien oui, s’était glissé dans la porte entrouverte pour venir ronronner sur ses genoux, au génie de Gaudi et sa Sagrada Familia. Faite de même la fille. Facile à dire pour moi qui ai aimé entendre le bruit des châtaignes qui tombaient sur le sol dans un petit village de France plutôt qu’un concert avec une foule. Ploc.Ploc.
Bon j’avoue; je suis allée voir Céline. Bien oui, au Centre Bell. On laisse tomber ici l’expérience intimiste.
Je me demande: pour les amoureux d’architecture, d’art, d’histoire et ceux qui apprécient la rumeur des villes bondées dont les tours sont illuminées la nuit, le slow travel, ça les intéresse ? En ont-ils envie ? Pour les grands sportifs de ce monde, le slow travel, c’est possible ? Et pour les avgeeks de ce monde, est ce que la contemplation d’un tarmac pourrait devenir une expérience de slow travelling ?
Je suis contente que ma lenteur naturelle ici et ailleurs porte désormais un joli nom. Je suis une slow travelleuse. Je pense toutefois qu’au delà du rythme qui permet une certaine disponibilité à l’expérientiel, il est aussi question du regard qu’on pose sur les événements et les rencontres. Un regard qui vient du dedans et qui ne cohabite pas avec une to-do list. Mais n’ayez crainte, il paraît que le phénomène ne happera pas tout le monde.
Je sais aussi qu’il y a un temps pour chaque chose. Qu’il n’existe pas qu’une seule bonne réponse dans cet univers de différences.
Je vous laisse quand même avec ceci.
Pouvons-nous en tant que voyageurs responsables ne pas contribuer aux désenchantement d’autrui lorsque nous arrivons sur son territoire ?
Pouvons-nous nous réjouir tous les deux de la présence l’un de l’autre ?
C’est certain que devant l’engouement des lieux et activités populaires sur Instagram, les constructeurs de balançoires de Bali par exemple, répondent à la demande et en produisent de nouvelles. Me semble toutefois que l’échange pourrait être plus riche tout en étant lucratif pour eux.
Parce qu’après tout, il me semble que voyager, c’est d’abord une invitation à la rencontre et au partage.
C’était une réflexion, Milesopédiens chéris. SVP ne me lancez pas de tomates si vous vous préparez à aller voir les cerisiers en fleurs au Japon au printemps prochain.
Ca me tenterait peut-être aussi.
Les économies, c’est par ici :